Surprise-Parti (e)
Œuvre : Surprise-parti (e)
Action consistant à transformer les poubelles des villes de Marseille, Arles et Aix en Provence en pochettes surprise à l’intention « des faméliques et des nécessiteux ».
Chaque conteneur à poubelles (plein) est emballé avec du papier de couleur rose et agrémenté d’autocollants idoines.
L’action porte sur plusieurs dizaines de poubelles.
Lieu : Marseille, France, 2013
Texte de référence :
Samedi 12 janvier 2013, Planète Marseille,
Quand j’étais petit, j’étais petit… Le plus petit de ma classe.
Pour compenser, j’essayais d’avoir de l’humour (…) Je me souviens parfaitement du jour où je me suis moqué d’une camarade aux joues rougies de boutons disgracieux en lui chantant à tue tête : « Ce soir je serai la poubelle pour aller danser ». Son copain qui mesurait deux têtes de plus que moi n’avait pas trouvé ça drôle et m’avait mis peu après dans l’une d’elles.
Oui, vous avez bien lu, j’avais passé ma récrée enfermé dans un conteneur, avec un gros lourdaud assis sur le couvercle, c’est dire si je m’y connais en la matière.
L’odeur m’avait suivi toute une journée.
A dire vrai, elle m’est revenue souvent pendant mon tour du monde. Peu de pays ont des systèmes performants de collecte des déchets. Ailleurs, les habitants se débrouillent comme ils peuvent. Ce qui n’est pas brûlé, mangé par les animaux errants, finit par s’envoler aux quatre vents, par donner aux villes entières des faux airs de décharges géantes. Sans parler de ces no man’s land où s’entassent jusqu’aux cieux fumants les cargaisons d’immondices que nous y abandonnons généreusement par super tankers interposés.
Ici, entre autres problèmes, notre modèle d’hyperconsommation de masse engendre au quotidien des montagnes de résidus, un processus de haute entropie comme dirait ce bon vieux Clausius.
La France produit en un an 355 millions de tonnes d’ordures, le monde 4 milliards.
Et à poubelle, poubelle et demie – ou plutôt à moitié. Car, aussi incroyable que cela paraisse, près de 50% des produits alimentaires achetés finissent non consommés au fond des conteneurs tandis que beaucoup, même dans notre pays opulent, n’ont pas les moyens de se nourrir ailleurs qu’aux « restos du cœur ».
J’ai découvert ce paradoxe malodorant au détour d’une de mes recherches sur la crise économique.
Peut-être naît-il du principe qui recommandait jadis de « manger selon son état » – état social s’entend – laissant aujourd’hui aux bien nés le septième ciel des restaurants étoilés, les nobles volatils et aux gueux le jus de poubelles et la lie de vin ?
« Plutôt un problème de gestion des flux, d’humeurs brouillées » aurait pu marmonner au moyen-âge un carabin de Montpellier, appliquant à la terre le « Tacuinum sanitatis ».
Il aurait eu probablement raison. Ne soyons pas manichéens, n’opposons pas les uns aux autres.
Il faut penser le système en termes de flux, de dynamique. Au cours de notre vie, nous oscillons tous plus ou moins d’un état à l’autre : un jour gaspilleur, un jour nécessiteux. Raison pour laquelle j’ai souhaité, en filant la métaphore nostalgique, intituler cette action : « Plaisir d’offrir, joie de recevoir ». Les choses vont dans les deux sens.
Comme sur les territoires passionnés de l’amour, le trop plein et le trop vide s’unissent et se recombinent à l’infini.
L’heure n’en est pas moins grave pour autant. A l’époque, cette collégienne ingrate dont j’étais sans doute un peu entiché m’avait valu une petite déconvenue. En me penchant une nouvelle fois sur une poubelle, je voulais la relativiser en la comparant à la véritable humiliation que vivent tous les jours ceux qui s’y approvisionnent. Le faire à Marseille, ville du Fini-Parti m’a semblé judicieux. Histoire de bouléguer sur un air de Schnippel Disko les images qui se succédaient en moi.
La misère de ces ombres sans cesse plus nombreuses qui n’ont d’autre choix que de fouiller dans la merde des autres. La conviction d’un Tristam Stuart qui organise des banquets avec nos détritus pour mieux nous mettre le nez dans le caca. Nous au milieu, pris en tenaille entre les habitudes de consommation qu’on nous impose et la culpabilité du nanti de la terre qu’on nous impose tout autant. La peur aussi, celle d’être à notre tour une marchandise gaspillée par cette monstrueuse broyeuse sociale, de finir à la rue, « à la poubelle » justement, alors qu’on pouvait encore servir : Voilà ce qui nous hante, le mauvais génie qui sort quand nous soulevons le couvercle.
Transformer les conteneurs poubelles de Marseille en pochette surprise « à l’usage des faméliques et des nécessiteux »… Pas compliqué : un peu de papier de couleur, quelques autocollants. Un rien suffit toujours pour s’adonner au Street art, rendre hommage au nouveau réalisme emballant de Christo, livrer une parodie grinçante de mes velléités humanitaires, s’essayer à la poésie urbaine et slamer sur un concept à l’accent chantant :
Fini-Parti. Surprise party. Parti de la Faim. Fin de Partie…
Yo Yo Bonne Mère, ouvre l’œil, cette année Marseille sera en mode « poubelle » la vie.
Liens :
Bilan écologique du gaspillage.