Avec de vrais morceaux de gens à l’intérieur.

Œuvre : Avec de vrais morceaux de gens à l’intérieur.

Peinture contributive. (De mai 2017 à septembre 2018, une dizaine de peinture de 2 m / 2 m ont été graffitées par le public dans différents lieux de la ville de Montpellier).

Lieu : Montpellier, France, 2017/18.

Exposition Espace Bagouet à Montpellier du 19 septembre au 2 décembre 2018.

Vidéo du vernissage :

 

Vidéo explicative.

 

Note d’intention :

En 1998, puisant son inspiration dans la pratique du graffiti autant que dans une idée particulière de l’art nommée esthétique relationnelle, Yann Dumoget eut l’idée de proposer à son entourage d’écrire ou de dessiner sur ses propres peintures avec de petits feutres indélébiles. Peu après, tandis qu’il peignait une toile par jour pendant un an, les visiteurs se succédaient dans son atelier pour graffiter cet ensemble de 366 œuvres et prendre part à ce qui fut sa première exposition personnelle importante, en l’an 2000, au Carré Sainte-Anne de Montpellier.
Exactement 20 ans plus tard, après bon nombre de pérégrinations artistiques autant que géographiques, l’artiste a souhaité revenir pour l’Espace Dominique Bagouet sur cette pratique initiale qu’il considère toujours comme un pilier important de son travail.
Mises en regard de quelques œuvres de ses débuts, l’exposition comprendra ainsi une dizaine de peintures récentes que l’artiste a proposées aux contributions du public lors d’événements s’étant tenus dans la ville préalablement.
En donnant la possibilité à plusieurs centaines de montpelliérains de différents quartiers d’investir symboliquement l’espace d’exposition avec lui, c’est un portrait singulier de la ville que propose Yann Dumoget à travers l’expression spontanée de ses habitants.

 

 

Texte de référence :

J’ai toujours aimé le célèbre aphorisme de Marcel Duchamp : « Ce sont les regardeurs qui font les tableaux ». J’y vois une manière percutante d’énoncer qu’aucun acte artistique ne peut se penser indépendamment de son contexte de réception. Et se revendiquer peintre au début du 21e siècle se résume tout compte fait à s’entendre avec ses contemporains sur une idée de l’art et des artistes. Dans mon cas, l’expression est même à prendre au sens littéral, car j’ai tenté dès le début de traduire justement cette discussion en formes, de me servir de mes peintures autant pour initier une expérience de rencontre que pour garder ensuite les traces de ces moments d’échange et de partage.

Dès 1998, j’ai utilisé ce qui me semblait le moyen le plus simple, le plus direct pour introduire de l’hétérogène dans mes productions : le graffiti. Car je soupçonnais que quelque chose d’intéressant pouvait se jouer dans la confrontation entre le territoire particulier de mes toiles et cette pratique universellement répandue qui renvoyait pour moi au tag, à cette occupation symbolique de l’espace public à laquelle se livrait un nombre grandissant de personnes. Car plus que l’expression d’un individualisme sauvage poussant les masses au narcissisme compulsif, j’y voyais la confirmation que nul n’avait plus à présent le sentiment d’exister dans le champ social sans la possibilité d’y prendre part de manière spectaculaire.

Ne restait plus au fil des années qu’à comprendre – c’est-à-dire non seulement à prendre avec moi, mais à essayer de rendre intelligible – ce qui s’y donnait à voir.

Il y a vingt ans, la révolution numérique et le développement de l’Internet exerçait sur moi une espèce de fascination. J’étais plein d’enthousiasme face à ce futur désirable, face à cette cyberculture universaliste dans laquelle les hiérarchies dépassées devaient laisser la place à un modèle d’échange horizontal et réticulaire valorisant la contribution et la co-construction. Mes premières peintures s’en faisaient naïvement l’écho comme celles présentées en introduction de cette exposition.

Aujourd’hui, je constate que résonnent aussi dans les plus récentes les craquements d’un monde en plein doute, laissant trop souvent la place à la peur et au repli. Mes préoccupations d’artiste y rejoignent alors celle du citoyen, tentant de construire son œuvre autant que lui-même en négociant tant bien que mal avec ses pulsions contradictoires d’hospitalité et d’hostilité, entre un désir d’altérité et la crainte de l’altération. Je continue de rêver malgré tout à un partage raisonné du commun. Je continue à produire jour après jour quelques mètres carré d’utopie colorée en gardant à l’esprit qu’à l’heure où le totalitarisme paraît de plus en plus séduisant à certains, la démocratie n’est rien d’autre qu’une fragile tentative d’inventer des espaces permettant à chacun de donner de la voix. Alors, à mon échelle minuscule, je fais ma part.

Mais sorti du gouvernement des pinceaux, que peut l’artiste à l’ère Anthropocène, face à la consumation du monde, face à la disparition redoutée de tout à commencer par celle inéluctable de lui-même ? Rien ou presque, bien sûr. Voilà pourquoi, dans une pirouette dérisoire, j’ai fait mine dans cette exposition de me prendre pour un chaman, pour cet être dont la magie lui permet d’intercéder auprès des esprits du temps et de la nature. Et si mes toiles sont comme autant de stations chargées de votre présence comme pourraient l’être des statues animistes, autant dire qu’elles sont également des écrans qui cachent hélas la vacuité de mon pouvoir. L’artiste est nu, l’art n’est en définitive que ce que nous y mettons, que ce que nous voulons bien y voir. Rien de plus, mais rien de moins.

 En vous souhaitant une bonne visite de cette exposition, je vous invite à n’en retenir qu’une seule chose : un jour, nous étions ici, ensemble.

Comme un souvenir que nous pourrions évoquer à nouveau dans très longtemps.

Un jour, nous étions ici, ensemble. Et c’était beau…

La peinture partagée :

La peinture partagée est pour Yann Dumoget prétexte à des rencontres qui se formalisent ensuite à la surface de la toile jusqu’à figurer un espace commun symbolique où parviennent les échos d’un monde en mutation. Transposition de nos sociétés portées par la révolution numérique vers un modèle contributif et horizontal, la collection d’éléments hétérogènes qui ailleurs pourrait relever de l’altération s’affirme ici au contraire comme une prise en compte stimulante de l’altérité. Motivée par un désir de « compréhension » – au sens étymologique de prendre avec soi – celle-ci renvoie aux notions antagonistes d’hospitalité et d’hostilité à partir desquelles peuvent se penser aujourd’hui les flux humains et culturels générés par la globalisation. Ici, Yann Dumoget fait le pari de croire en la co-construction d’une identité artistique plurielle et apaisée, version picturale d’une utopie qu’il souhaite réalisable. Celle, à l’heure où certains idéaux fondateurs semblent perdre de leur attrait, d’un territoire partagé en bonne intelligence comme base de tout projet démocratique.

 

 

 

 



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