Superfouilles

 

Œuvre : Superfouilles.

Série de photomontages proposant une approche archéologique de la culture alimentaire industrielle.

Dans un premier temps, j’ai demandé à des habitants de nommer les produits alimentaires industriels qu’ils considéraient comme « typiquement grecs ». J’ai ensuite acheté ces produits lors de « fouilles de supermarchés » puis les ai minutieusement inventoriés. Les publicités télévisuelles qui leur sont consacrées servant de référence aux interprétations de type « archéologique » qui en sont données.

Lieu : Athènes, Grèce, septembre- octobre 2012

Texte de référence :

Raffina, Attique, le 02 octobre 2012

 Je suis en Grèce.

Après avoir fait trembler le système financier islandais l’an dernier ( !!!) en proposant aux habitants surendettés de dessiner leurs propres billets de banque que je changeais contre de vrais euros sonnants et trébuchants, j’ai rejoint le berceau de notre civilisation où je m’improvise archéologue. Unilever ayant annoncé récemment son intention de vendre ses produits en petits conditionnements pour faire face au « retour de la pauvreté en Europe du sud », j’ai décidé d’inventorier – avant que plus personne n’ai les moyens de se les offrir – les produits alimentaires des marques grecques emblématiques comme autant de vestiges d’une opulence en fin de course(s). Champollion de bazar déchiffrant laborieusement l’alphabet mystérieux de leurs étiquettes criardes, je reviens avec ironie sur la croyance en ces « promesses-produits » dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles n’ont pas vraiment été tenues.

En contre-point, je me suis mis également à photographier les innombrables devantures de magasins fermés du centre d’Athènes. En observant leurs vitrines figées livrées aux graffitis, aux affiches, aux pochoirs, à cette libération nécessaire de la parole dans un espace public dévasté par la précarité, j’ai l’impression de me trouver dans une Agora en ébullition, bruissante des rumeurs d’un monde en basculement. J’y suis, sur ce lieu même de la Stoa Poikilè. Et ce bon vieil Aristote trouverait sans doute que les capeloï font sacrément la gueule… Je regarde, je les questionne, j’écoute. J’assiste interdit à la montée des extrêmes, à des discours de haine qu’on croyait d’un autre âge portés par des mères de famille sympathiques drapées dans la conscience tranquille des petites commerçantes. Les optimistes prendront ça pour un moment politique intense, une vie de la citée en perpétuelle remise en question. Les autres penseront que nous vivons autre chose qu’un dangereux retour aux années 30, que le monde, la pensée qui est née ici il y a plusieurs millénaires est en train de disparaître.

Moi, je ne suis né qu’hier, en 1970. Cette année là, Jean Baudrillard publiait justement « La société de consommation ». Pendant que l’ouvrage se diffusait dans les milieux universitaires, j’apprenais à lire en déchiffrant – déjà – les noms des marques écrits sur les briques de lait, les boîtes de poudres chocolatées. Puis j’avalais mon petit déjeuner et, sans le savoir, je participais ainsi à ce nouveau modèle de société qui avalait lui les ressources de la planète, les idées, les mythes pour en faire, non seulement les objets manufacturés de tous nos désirs, mais bien un mode de relation aux autres, au monde, qui consistait finalement à nous avaler nous-mêmes avec tout le reste.

Mais restons positifs. Ici, je n’ai pas croisé la Pythie. Personne ne peut prédire l’avenir, surtout pas moi. Je ne suis qu’un petit voyageur qui, au-delà de cette autophagie sociale compulsive – pour rester dans les concepts grecs – a eu envie d’exprimer cette pesanteur eschatologique que mon naturel angoissé me fait ressentir ces derniers temps.

La conscience d’une finitude traverse depuis toujours l’esprit des artistes. Il me semble qu’elle prend aujourd’hui une densité inédite. C’est ce que je crois percevoir en filigrane dans nombre d’œuvres présentées cet été à la Documenta.

Une crise idéologique amplifiée par des « avancées » technologiques a entraîné une crise écologique qui a entraîné une crise économique qui a entraîné une crise politique… Une espèce de réaction en chaîne mondialisée qui fait qu’aujourd’hui, l’homme envisage sa disparition individuelle mais également collective. Situation dont il est, de manière probablement inédite, en grande partie responsable comme le souligne Jared Diamond. On conviendra que c’est lourd à porter.

Parfois, comme le disait Primo Lévi : « Ce qui motive l’artiste, c’est la honte d’être un homme ».

Dans notre cas, il faut probablement tout changer. Notre comportement et plus encore notre manière de voir les choses.

« On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré », Albert Einstein, ardent promoteur du projet Manhattan savait fichtrement bien de quoi il parlait…

Heureusement, la roue géopolitique s’est remise à tourner. Le monde de demain se pensera en Asie, en Afrique, par d’autres cerveaux, suivant d’autres paradigmes. Il faut leur souhaiter, nous souhaiter, bonne chance.

Pour l’instant, moi, je suis en Attique. J’y regarde nos antiques utopies occidentales couler dans l’eau chaude et transparente de la mer Egée.

Heureux comme un Ulysse qui vit un beau naufrage…

 

A mettre en résonance avec quelques instantanés de magasins fermés au centre  ville d’Athènes,

Grèce, octobre 2012. :

 

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Liens :

Blog sur l’alimentation

 

 

 

 

 

 

 



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