Mon petit veau s’appelle TAFTA

Œuvre : Mon petit veau s’appelle TAFTA

Installation. ( Co-production L’atelier Blanc, espace d’art contemporain / Les Abattoirs Toulouse.)

Lieu : Saint-Rémy, France, 2017.

Texte de référence :

Mon petit veau s’appelle TAFTA

À la bourse de New-York, les courtiers qui pensent que les cours vont monter sont appelés Bulls. Après le Krach de 1987, en soutien à ces fonceurs d’un optimisme infatigable qui s’étaient retrouvés le nez dans la poussière, Arturo di Modica érigea dans Wall Street un taureau en bronze de trois tonnes dont on se doit, paraît-il, de caresser les cornes et les parties viriles pour s’attirer la bonne fortune. Il y a quelques années, en me soumettant sur place à ce petit geste de superstition – qui n’a hélas pas porté ses fruits jusqu’à présent – je pensais à la résonance de ce rituel initié par des marchands américains contemporains avec le mythe antique si souvent illustré dans l’histoire de l’art et qui donna son nom à notre Union européenne : l’enlèvement sur une plage grecque d’une belle jeune fille, Europe, par un Zeus concupiscent déguisé en taureau fougueux.

Dans les deux cas, l’animal cornu qui attire par sa bestialité au combien phallique est un symbole de prospérité, de fertilité. Mais c’est avant tout ce moment de soumission de l’humain à un animal auquel on prête des pouvoirs surnaturels qui produit le miracle. Pour le dire autrement, c’est dans son commerce avec les dieux que l’homme se pense le plus prolifique, quitte à s’en créer de nouveaux le plus souvent possible. La preuve dans cet autre récit bovin millénaire qui voit Moïse piquer sa crise parce que ses frères hébreux désemparés n’ont pas attendu son retour pour fondre un veau d’or avec leurs bijoux et s’empresser d’adorer leur nouvelle idole avec ferveur.

En laissant ainsi mon esprit camarguais sauter de taureau en taureau tandis que je parcourais les rues bondées de Big Apple, je réalisais qu’en dernier lieu, des bourses viriles d’Apis et de Mithra à celles trop pleines des traders de Wall Street, l’homme s’en remettait toujours au sacré pour régler les affaires importantes, même s’il le faisait aujourd’hui sous couvert d’une pseudoscience qu’on nommait « économie ». Et c’est ici, à Manhattan, en 1800 que le Physiocrate du Pont de Nemours avait commencé à en élaborer les principes modernes avec autant d’entrain qu’il avait mis à s’enrichir avec son fils en vendant de la poudre à canon. Depuis, beaucoup d’autres l’avaient suivi, s’évertuant à bâtir des théorèmes irréfutables sur leurs observations de l’homo œconomicus. Mais la lecture du regretté Bernard Maris ou celle d’Eloi Laurent me permettaient de prendre un peu de recul sur ces Mythologies économiques et leur charabia de sophistes. D’ailleurs, autant le reconnaitre, comme l’exposait le sociologue Gérald Bronner, chez l’homme la croyance avait toujours pris le pas sur la connaissance et aujourd’hui ne faisait pas exception.

C’était donc vrai, le vingt et unième siècle serait religieux, mais dans l’un des paradoxes cyniques dont seule la grande histoire a le secret, cette spiritualité serait la plus terre-à-terre qui soit – l’économisme – cette tendance à désigner tout fait social comme économique nous amènerait peu à peu à donner une valeur marchande à tout et n’importe quoi et, ce faisant, rendrait plus que probable que ce vingt et unième siècle soit aussi le dernier pour notre espèce. Car si cette nouvelle religion, ce fétichisme de la marchandise avait ses prêtres, les « experts » qui délivraient la bonne parole aux fidèles par voie télévisuelle, si son catéchisme était repris en chœur par le commun dans une langue absconse où les mots CETA, TAFTA, PIB, CAC 40, signifiaient avant tout qu’il faudrait boire la potion amère jusqu’à la lie et que les dévots devraient se sacrifier en personne sur l’autel afin que chaque chose soit à sa place et que le monde reste monde. Il semblait bien que cette religion du profit, dans laquelle la cupidité s’accordait si bien à la stupidité et où la chrématistique honnie par Aristote avait remplacé depuis bien longtemps la saine administration de la maison commune, ne serait pas de ces cultes qui voient les hommes et le divin s’allier dans un élan fécond. Ici, l’obscurantisme crédule et l’individualisme forcené paré des oripeaux dépravés de la science n’apporteraient que misère et désolation.

Serions-nous capables, dans une énième tauromachie, de sacrifier à nouveau cette idole stérile pour que renaisse enfin la beauté humaine ? Aurions-nous l’élan nécessaire pour mettre un terme à cette faim sacrée de l’or, tellement contre-nature, avant qu’il ne soit trop tard ?

Auris sacra fames disait jadis le poète avec le plus grand des mépris.

Et il avait vachement raison…

 

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