Peintures matérialistes

Œuvre : Peintures matérialistes.

Série de peintures matérialistes destinées à faire vivre l’artiste. Collages de morceaux d’acrylique sur toile sur toiles, dimensions variables.

Lieu : Montpellier, France, 2010 / 2015.

Texte de référence :

Porcieu, le 30 octobre 2011,

A Berlin, j’ai croisé un jour un très vieux monsieur qui avait connu l’hyperinflation de 1924. Il m’a raconté comment il allait chercher son pain avec des poignées de billets libellés en millions de marks. Il m’a décrit comment le troc avait, à l’époque, commencé à primer sur l’argent. Le moindre outil, bibelot ou kilo de jambon valait bien plus que tous les morceaux de papier aux montants abracadabrants émis par la république de Weimar. On revenait au solide, au concret.

J’y repense souvent en observant aujourd’hui les flambées de l’or, du pétrole, des matières premières induites notamment par les excès de la finance.

Force est de constater que la monnaie scripturale, qui jaillit des comptes virtuels des banques centrales pour ricocher à l’infini de chambres de compensation en ordinateurs spéculant à haute fréquence, a de quoi nous paraître évanescente. Elle se volatilise au moindre Krach et même les financiers qui s’en abreuvent à longueur de bonus ont tôt fait de la convertir en réalité concrète, en avoirs solides. Si ce bling bling est exagérément visible, audible, tangible, c’est qu’il donne à voir, en contrepoint une forme de vacuité immense, une « dématérialisation » qui ne concerne pas que la finance, mais tous les aspects de notre vie.

Aujourd’hui, on passe nos journées devant des écrans, on y travaille, puis on félicite, par exemple, un « ami » sur Facebook pour ses dernières photos, le tout en écoutant de la musique mp3 envoyée par un autre. Tout ce temps, cette énergie créatrice, cette intelligence collective étant, bien entendu, elle aussi recyclée par une économie du numérique produisant en boucle cette nouvelle forme de valeur…immatérielle.

Dans un sens, on peut voir ce mode de vie contemporain comme une immense machine à dématérialiser le monde. En réalité, elle plus une broyeuse qui détruit la matérialité de ce monde.

En effet, tout n’est pas virtuel dans cette hyperconsommation technologique : un ordinateur personnel consomme de l’énergie, de la vraie. Un méga serveur comme celui de Google beaucoup plus. Chaque requête sur ce moteur produit 14 g de C0². Pire, avoir un avatar dans le jeu Second Life consomme autant d’énergie par an qu’un Brésilien moyen, soit 1 752 kilowatts-heure !! Et que dire de la quantité exponentielle de matière première nécessaire à la fabrication de nos composants électroniques à obsolescence programmée ?

Peu à peu, avec la croissance pour saint Graal, nous dilapidons avec constance les éléments irremplaçables composant notre biosphère. « Rien ne se perd, rien ne se crée » disait Lavoisier. Oui mais…

Le fameux Bulletin of the Atomic Scientists qui tient à jour « l’horloge de la fin du monde » depuis 1947, vient de prévenir officiellement l’humanité que nous sommes maintenant à 23 h 55. Il y a un risque existentiel. Nous aussi pourrions physiquement disparaître.

Face à cela, je me sens perdu. Comment penser ce monde, vers où aller dans cette ambiance postmoderne de « fin des idéologies » ? J’ai le sentiment confus qu’il y a également dans le domaine des idées un vide, une attente inassouvie que Malraux soulignait avec le fameux :  « le 21 ème siècle sera spirituel ou ne sera pas ».

Et la solution ne viendra sûrement pas des prosélytes dont l’obscurantisme religieux s’engouffre dans toutes les fissures d’un béant désespoir.

Vu du bout de mon nez, à opposer à tout ce vide, je ne vois qu’un retour aux fondamentaux d’une famille de singe nus, plus turbulente que les autres. On dit notre société trop matérialiste ; j’ai le sentiment qu’elle ne l’est pas assez. Je parle d’un matérialisme de l’urgence, de la pénurie, celui du crève la faim ou du mort de froid.

Le matérialisme de celui qui, ancré dans un présent insupportable, se fout de savoir que la matière n’est qu’un état condensé de l’énergie.

La science a ses limites, le soi-disant « progrès » m’effraye plus qu’il ne m’émerveille. Les nano-technologies, le transgénisme, l’ectogénèse, les satellites de surveillance, la dissuasion nucléaire nous livrent malgré eux ce constat empirique sans appel, le rapport de subordination qui nous lie à la matière : Et en agissant sur celle-ci de manière imprudente,  plutôt que de résoudre nos problèmes, nous nous rapprochons de notre finitude individuelle et peut-être même collective…

Face à cet homme contemporain dépossédé, bientôt jusque de son intégrité corporelle, face à cette humanité qui tombe, à défaut de me consoler avec de grands idéaux, j’ai un réflexe instinctif, animal: celui de m’accrocher à la falaise, au rocher qui dépasse.

Mon caillou, depuis toujours, c’est la peinture. Ces derniers temps, j’y reviens avec soulagement. Conscient de la stabilité que celle-ci me procure.



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