De la banque au canon

Oeuvre :

Photogrammes cyanotypes sur papier Bergger cot320, 27,9 x 35,5 cm, Or 22,5 carats.

Lieu :

Le Cailar, France, 2023.

Texte de référence :

« Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde » ; Cette phrase, attribuée à Albert Camus, me semble lumineuse.

Bien qu’artiste visuel, j’accorde beaucoup d’importance au texte. La plupart de mes projets naissent d’un mot. De ce point de départ je tire un fil, l’étymologie me permettant d’élargir ma réflexion et de remonter dans le passé. J’aime creuser dans l’histoire des hommes à travers leur langue, mettre au jour les trames narratives qui les relient au fil des générations. Modestement, patiemment, comme un archéologue dégageant un trésor enfoui avec une truelle et une brosse à dent, je cherche à opposer la pénombre voilée de la profondeur culturelle au nivellement par le présent perpétuel confinant souvent à la platitude éblouie du désert.

En réflexion sur un nouveau chapitre de mes œuvres liées à la finance, je cherchais à exprimer son caractère quasi sacré quand je suis justement tombé sur le mot Canon, dont la pluralité de sens illustrait à merveille l’enchainement funeste qui me semblait à l’œuvre.

Si l’argent est une nouvelle religion, le billet de banque en est dès lors son icône et la personne qui trône généralement en son centre selon des règles précises s’en trouve ainsi « canonisée ». Figure patriotique auréolée d’or et de propagande, son catéchisme se diffuse aux adeptes pour le meilleur et surtout pour le pire.

A l’heure où les généraux ont pris leurs habitudes sur les plateaux des chaînes « d’information » en continu, où les présentatrices s’extasient en commentant la grosseur des missiles et leur capacité de perforation, à l’heure surtout où le président emploie des mots comme réarmement, économie de guerre, où celui-ci prône le natalisme sans que l’on sache encore vraiment s’il s’agit d’enfant destinés à payer nos retraites ou plus crûment à abreuver les sillons français avec leur sang de prolétaires, la guerre a peu à peu pris pied en Europe.

Après avoir cru quelques temps que le libre échange et la mondialisation pacifieraient le monde, force est de constater que, comme toujours, la goinfrerie associée au tarissement des ressources provoquent des tensions qui, hélas, ne se résolvent que par la haine et la désolation.

Les vieux réflexes refont surfaces : le nationalisme, la xénophobie, le culte du leader providentiel, les bruits de bottes de plus en plus cadencés.

Après ce sera le grand hachoir, la grande boucherie…

Mais le cycle ne sera pas terminé. Tandis que certains bandent leurs muscles et mettent leurs cerveaux sur pause, prêts à partir la fleur au fusil avant de revenir en plusieurs morceaux dans un sac en plastique. D’autres ouvrent des usines et allument un cigare.

Trop d’amour pour la banque peut conduire au canon, mais l’amour du canon conduit certains à la banque.

Car, comme le disait si justement Anatole France :

« On croit mourir pour la Patrie, on meurt pour des industriels »…



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