Compte rendu

Œuvre : Le chant des pistes / compte rendu.

Installation réduisant les relations humaines à un échange marchand.

Parti pour un projet relationnel de deux ans autour du monde, sur le principe de la concaténation, j’en dresse à mon retour un compte rendu amer. Accentués par la crise, les inégalités, le décalage de niveau de vie, ont bien souvent réduit mon rapport aux habitants à un triste échange marchand. J’en expose les justificatifs, factures, petite monnaie, reçus, comme les pièces d’un bilan comptable.

Lieu : Espace culturel Louis Vuitton, exposition Ailleurs, commissariat Paul Ardenne,  Paris, France, février – mai 2011.

Texte du catalogue, par Paul Ardenne :

Yann Dumoget est un artiste « participatif ». Sur des toiles préalablement peintes en atelier, il invite par exemple amis
et amis de ses amis à retravailler à leur tour cette « Peinture partagée ». Son attention à la dimension sociale de l’art lui inspire
« Le Chant des pistes » (2008-2010), « Action relationnelle et participative autour du monde en hommage à Bruce Chatwin »(écrivain-voyageur de la fin du XXème siècle), périple autour du monde d’abord pensé comme une démarche humanitaire, puis comme un circuit dont le maître mot serait le « lien » :
« Parti de France en septembre 2008, je n’ai pas d’itinéraire précis. Je me déplace au hasard des rencontres, conformément aux règles que je me suis fixées. Je m’en remets aux personnes avec qui je sympathise pour me donner l’adresse de ma prochaine étape : celle d’un proche à visiter de leur part. À l’arrivée, plus que de simples nouvelles, je délivre à ce destinataire mystérieux tous les messages que j’ai pu glaner pendant le trajet jusqu’à lui. »
Yann Dumoget ou le Mercure anachronique, l’homme du contact direct à l’heure de la communication dématérialisée. Voyage aléatoire de deux années autour du monde dont l’artiste présente l’historique sous forme de carte géante, « Le Chant des pistes » doit sa nature, encore, à un éloge singulier du nomadisme par Chatwin, envisagé à travers la description de la pratique, propre aux aborigènes australiens, du rituel de la « Piste chantée ». « À la croisée entre art et spiritualité, celle-ci conduit ces derniers à « être au monde » non en dessinant cette piste sur des cartes mais en la chantant », relève Yann Dumoget, qui précise : « J’ai trouvé fascinante cette façon de concevoir un lieu, non pas comme topographie, dans une transposition formelle figée, mais comme son, comme verbe. » Le déplacement, une songline écrite par le pas du marcheur nomade.
Merveilleuse aventure que celle-ci ? Pas si sûr. Quelques millénaires après Ulysse, Yann Dumoget réalise une odyssée certes spectaculaire, qui le conduit bientôt sur tous les continents habités, mais aussi quelque peu nauséeuse. Car l’Occidental qu’il est, partout où il passe, est considéré comme tel, comme touriste, on ne comprend pas sa langue ni, le plus souvent, sa démarche, il lui faut endurer une myriade de contrôles, des passages de frontière compliqués, de vols… Peu à peu, la déception remplace l’enthousiasme du départ, tandis que l’artiste éprouve durement la distance qui sépare intention et réalisation.
Instructif, « Le Chant des pistes » l’est en ceci : la mondialisation, qui fait voyager les marchandises plus aisément que les hommes, n’a pas pour corollaire la libre circulation, ni la naissance d’un « citoyen-monde ». Ce qu’il reste de ce voyage, pour solde de tout compte ? Des visas, des relevés de change, des lettres consulaires… Le triomphe de la bureaucratie, cette entrave mise à la liberté.

Article de Richard Leydier dans ART PRESS n°377, avril 2011 :

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