L’or potable
Œuvre : L’or potable
Installation dans le cadre de la ZAT2019 Montpellier Métropole.
Commissariat Nicolas Bourriaud
Lieu : Montpellier, France. 2019.
( Statue TAFTA : Co-production L’atelier Blanc, espace d’art contemporain / Les Abattoirs Toulouse.)
Texte de référence :
« …On venait chercher chez lui la drogue orientale, le médicament miellé, l’or potable qui prolonge la vie, et puis aussi le remède mystérieux qui se composait la nuit dans la seconde arrière-boutique, derrière les gros alambics verts et les paquets de baume… » Ainsi décrivait Flaubert le « logis vénéré d’un bon apothicaire ».
Ainsi m’est venue l’idée d’ajouter discrètement aux objets surannés exposés dans l’arrière-salle, un petit veau d’or, d’abord à prendre comme le témoin du bestiaire aussi foisonnant qu’extraordinaire qui entrait dans la composition des pharmacopées ancestrales telles que la fameuse Thériaque de Montpellier ;
La médecine étant pour beaucoup dans la renommée internationale de Montpellier et étant moi-même un ancien carabin de la ville, j’ai naturellement eu envie d’aborder pour 100 artistes le sujet de la santé et du soin. L’ancienne apothicairerie de l’œuvre de La Miséricorde était le lieu idéal.
Sur les traces de l’écrivain, j’entendais également souligner par sa matérialité la place particulière de l’or dans l’apothicairerie, une place qui ouvre elle-même sur tout l’imaginaire alchimique.
Car l’or est le pharmakôn par excellence, tantôt remède, tantôt poison, selon la dose et surtout l’intention. Et cette ambivalence résume à elle seule les contraintes qui tiraillent la santé publique contemporaine, sommée perpétuellement de choisir entre deux inclinaisons : la vocation altruiste d’un côté, la tentation mercantile de l’autre.
L’altruisme d’abord, dont l’œuvre caritative de la Miséricorde est bien entendu une excellente illustration. La charité étant une des trois vertus théologales sensée guider les fidèles dans leur rapport transcendant au divin. Cette aspiration chrétienne sera poursuivie après l’ancien régime et c’est elle qui inspirera nos hôpitaux modernes ainsi qu’une certaine universalité du soin à la française que le monde nous envie.
La vénalité ensuite. Et l’expression « comptes d’apothicaires » nous rappelle les origines mercantiles d’une profession qui n’a pas toujours eu bonne réputation. Ainsi le latin Apothecarius signifie boutiquier et cette activité fut longtemps confondue avec celle d’épicier.
À l’heure où les pouvoirs publics s’interrogent sur la viabilité financière de notre système de santé publique et où l’exigence de rentabilité conduit parfois au scandale sanitaire, l’économie du soin ne peut être qu’un fragile équilibre entre ces aspirations contradictoires
Et c’est pour questionner ce dilemme et le mettre en dialogue avec le contexte historique et charitable de l’apothicairerie de l’œuvre de la Miséricorde que j’ai souhaité placer un veau d’or dans la salle XVIIIème en vis-à-vis de la statue virginale.
Car le veau d’or fait bien entendu référence également au mythe présent dans les trois religions du livre, celui d’un peuple abandonné à sa propre idolâtrie matérialiste que Moïse punira en leur faisant manger les restes dorés de l’animal rageusement réduit en poussière. Le mal redevenant remède dans un éclatant renversement de situation.
Un paradoxe illustré également par ce lieu montpelliérain situé sur « L’Isle de la monnaie », fondé puis dirigé par des épouses de membres de la Cour des comptes et de riches notables dans l’unique but de prodiguer gratuitement soin et attention aux plus démunis de cette ville…
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